Guerre en Ukraine, le déni ?

Suivi du Dictionnaire désolé de la guerre en Ukraine

Du Vietnam à l’Ukraine, quel rapport ?

Je me souviens qu’un vaste mouvement de protestation contre la guerre du Vietnam avait démarré au cœur de l’Empire américain et s’était étendu au monde entier avec un point d’orgue le 21 octobre 1967. J’ai participé, avec les « Comités Vietnam », à des manifestations contre cette guerre criminelle. Je n’avais pas pour autant, bien au contraire, l’impression de soutenir l’autre Empire, le soviétique : j’étais pour ma part au clair avec son caractère de faux-socialisme. C’est comme ça : il n’y a pas de réalité politique univoque.

Et aujourd’hui, dans une configuration bien différente, nous assistons à la guerre en Ukraine. On condamne l’invasion mais la rue est silencieuse – alors qu’une guerre cruelle est là, à notre porte. Il n’y a pas de protestation organisée pour dénoncer l’agression, soutenir l’Ukraine, ou, pour le moins réclamer les moyens de la paix. Sans pour autant soutenir les visées impériales américaines. Pourquoi cet étourdissant silence ? Continuer la lecture

Casser les inégalités. A propos de “Capital et idéologie” de Thomas Piketty.

Vous connaissez l’économiste Thomas Piketty, spécialiste de l’histoire des inégalités sociales, et, c’est son apport le plus original, des inégalités de patrimoine. Il a publié une première grande enquête en 2013 avec Le Capital au XXI° siècle (2013), prolongée en 2019 par Capital et idéologie (2019). Ce qui suit constitue une exploration de Capital et idéologie, ce livre touffu de 1200 pages. Une exploration libre et parfois présomptueusement critique venant d’un béotien. Lecture complétée par celle de quelques articles récents de sa plume, et additionnée de digressions de ma part. La frontière entre le propos de l’un, Piketty, et le commentaire de l’autre, votre serviteur, n’a pas toujours été facile à tracer. Qu’on m’en excuse.

L’objet de Capital et idéologie consiste en un diagnostic suivi d’une thérapeutique : un versant descriptif et un autre prescriptif. Piketty est un économiste engagé.

Le diagnostic consiste en une étude comparative des régimes socio-économiques et des idéologies relatives aux inégalités dans le monde occidental développé depuis le 19ème siècle.

La médication ne vise pas à « guérir » le capitalisme de ses maux inégalitaires, mais carrément à le « dépasser » vers un nouvel état de santé. Continuer la lecture

Achever la décolonisation, dépasser le racialisme. Entretien avec Kofi Yamgnane

              Ubuntu, « je suis parce que nous sommes » (expression bantoue)

Kofi Yamgnane est un franco-togolais – aussi bien, togolais-français – né en 1945 en pays bassar. Il a fait ses études supérieures à Brest puis à Nancy (école des mines) et il est devenu ingénieur de la DDE de Quimper. Il est ensuite projeté, de façon inattendue, dans un destin politique : maire de Saint-Coulitz (1989-2001), Secrétaire d’État à l’intégration (1991-1993) sous Mitterrand, député (1997-2002).

Homme politique donc, et aussi intarissable conteur. Il relate une partie de son enfance sous l’oppression coloniale, et surtout son aventure de maire de Saint-Coulitz puis de ministre, et les réactions d’insoutenable haine raciste mais aussi de gratitude que son parcours  à suscitées, dans un livre à paraître le 19 mars, Mémoire d’Outre-Haine, aux éditions Locus Solus de Châteaulin.

L’entretien qui suit se contente de graviter autour de ce texte souvent bouleversant et toujours lucide, en reprenant quelques questions sur la rencontre des cultures qui sont, plus que jamais, d’actualité.

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Le commun, une alternative

Avril 2020, crise du coronavirus : l’Etat est défaillant, les services publics en souffrance, tandis que des communautés hospitalières assurent la préservation de notre vie au péril de la leur. Crise systémique, aux conséquences encore incalculables. Ce cataclysme nous rappelle que la trajectoire de notre civilisation doit radicalement bifurquer si elle veut éviter le collapse. Puisque les pandémies contemporaines ont leur source dans la dévastation des écosystèmes, puisque la réponse ne peut être que collective, les jours d’après ne doivent pas relancer une croissance destructrice, dominée par des intérêts privés, mais construire une « écologie du commun ». Ce qui suit, en marge de la crise sanitaire qui nous bouleverse, est une ébauche de ce « devenir-commun ».

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Origine et destin de la cyberculture

Les avatars de la contre-culture, du monde des hippies à celui d’Internet

Changer le monde ou changer de monde ? Nous sommes plongés aujourd’hui dans une séquence qui voit les inégalités se creuser, les libertés reculer, tandis que les sociétés se divisent et que la planète roule au désastre. Des forces dispersées résistent à ces évolutions. Est-ce suffisant ? Non. Il faut aussi des forces de création qui inventent un nouveau monde. Mais à partir de l’intérieur du système, pour le corriger, ou en inventant de nouveaux territoires à l’extérieur, pour le supplanter?

Dans les années 1960, des jeunes par milliers se posaient déjà la question : changer le monde ou changer de monde, agir à partir du dedans ou à partir du dehors du système ? Cette alternative était vivante dans la « contre-culture » hippie. Qu’est devenue cette mouvance avec la mondialisation financière néo-libérale qui s’est imposée à partir des années 1980 ?

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Critique de la raison cybernétique

Origine et destin de la cyberculture expose la rencontre du mouvement contre-culturel des hippies, dans les années 1970, et de la cybernétique, par le biais de l’invention du micro-ordinateur. Le présent article fait suite en présentant quelques fondamentaux de la théorie cybernétique et de son l’idéologie, avant d’en amorcer une critique.

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Lysistrata. Révolte des femmes, trouble dans le genre (1)

Lysistrata, c’est le nom de l’héroïne de la pièce éponyme d’Aristophane, le maître de la comédie dans la Grèce antique. C’est, étymologiquement, celle qui dissout l’armée ; Victor-Henry Debidour dans sa traduction facétieuse l’appelle « Démobilisette ». Cette femme, à la fois sage et extravagante, invente l’arme infaillible pour arrêter les ravages de la guerre qui oppose les cités grecques : la « grève du sexe », stratagème pacifique pour faire taire la violence.

Dans Lysistrata, il est donc question des femmes, les laissées pour compte de ce monde excessivement patriarcal. Ce qui est joué, ô scandale, c’est une révolte collective des femmes reliant de façon spectaculaire la conduite des affaires de l’Etat avec l’intimité des relations amoureuses.

Ces femmes rejettent l’addiction masculine à la guerre, et vont jusqu’à prendre le pouvoir en occupant les lieux stratégiques de la cité, affrontant héroïquement les hommes. Inversion des rôles : le féminin se fait masculin, le masculin est rabattu sur le féminin, la frontière se brouille, il y a trouble social et trouble dans le genre. Continuer la lecture

Lysistrata. Révolte des femmes, trouble dans le genre (2)

La « modernité » d’Aristophane, et singulièrement celle de Lysistrata, frappe le lecteur par les thèmes mis en scène : la guerre et la paix, le public et le privé, la domination et l’égalité, le sexe et le genre, et par la forme : cette langue jubilatoire qui sait conjoindre l’aérien et le pesant, la formule brillante et la pure obscénité.

Dans cette deuxième partie est reprise la question du trouble dans le genre. On évoque les bas-fonds de l’obscénité, pour passer à l’inversion des rôles sexués et déboucher sur l’idéal d’un amour conjugal partagé, presque à la façon d’une ascension platonicienne ! Retour ensuite sur l’actualité et sur le caractère prémonitoire de Lysistrata. Continuer la lecture

Nous sommes tous Charlie

je suisLa fête est gâchée, l’insouciance effondrée. L’humour comme propre des humains, le droit à la parole, la liberté de penser sont devenus les cibles des groupes sectaires assoiffés de sang : tais-toi Charlie ou meurs. La cible est plus large : s’ajoutent les juifs, les policiers, et finalement tout ce qui n’est pas formaté intégriste. Cet islam n’est pourtant pas l’islam tout comme ce blasphème n’est pas même un blasphème. Il y a des murs d’incompréhension quant au partage entre sacré et profane. Notre innocence elle-même se révèle être un leurre : la République a failli, le « vivre-ensemble » a été traité avec désinvolture. Que faire maintenant après l’incomparable moment fusionnel du 11 ? L’article qui suit ne répond pas à cette question, il a été écrit à chaud entre le 7 et le 9 janvier. Continuer la lecture